Une firme gaspésienne développe un masque chirurgical réutilisable

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Gilles Gagné
GILLES GAGNÉ
Collaboration spéciale
27 décembre 2022 17h30
La firme gaspésienne Frëtt Solutions vient de compléter le développement d’un masque chirurgical multicouche réutilisable, pouvant être lavé de 100 à 200 fois et pouvant ensuite être recyclé. Cette innovation textile brevetée constitue une première mondiale et elle a reçu l’approbation de Santé Canada.

Le nouveau produit deviendra une façon de contrer la pollution venant des masques à usage unique, souhaite la présidente de Frëtt Solutions, Michelle Secours, de Caplan. La technologie textile filtrante, appelée ëncore®, est le fruit de trois années de collaboration avec des centres de recherche internationaux, des laboratoires et des institutions de santé, dit-elle.


« C’est avec la pandémie que j’ai saisi l’occasion de travailler sur le développement d’un masque multicouche réutilisable. »
 Michelle Secours, présidente de Frëtt Solutions

«Depuis mars 2020, j’ai eu le temps de m’informer sur les effets néfastes des masques à usage unique pour l’environnement. Une étude récente de l’Université Concordia révèle qu’un seul masque bleu comme ceux qu’on voit depuis trois ans libère plus de 1,5 million de particules de microplastique dans l’eau après un jour d’exposition à la lumière solaire», précise Mme Secours.

Cette même étude révèle que 129 milliards de ces masques à usage unique sont utilisés dans le monde chaque mois depuis le début de la pandémie.

«Multiplions 129 milliards par 33 mois depuis mars 2020 et ça donne 4257 milliards de masques. Il s’en jette 50 000 à la seconde. Ces masques ne sont pas tous jetés dehors ou dans l’eau, mais même enfouis dans un dépotoir, ils ne disparaissent pas. Le processus de dégradation est plus lent. Ça prend 400 ans avant qu’un masque se désagrège mais il ne disparaît pas, même s’il n’est plus visible à l’œil nu. Il n’est pas biodégradable», explique Michelle Secours.

«Il faut aussi comprendre que chaque masque jeté au grand air continue de libérer des microparticules au-delà des 1,5 million d’entre elles dégagées lors des 30 premières heures», ajoute-t-elle.

Une sensibilisation venant du secteur textile

Michelle Secours travaille dans le secteur du textile depuis 25 ans par le biais de sa première entreprise, Frëtt Design. C’est là qu’elle s’est sensibilisée aux effets négatifs de certains type de textiles.

«De mon domaine, la mode, j’évolue dans l’un des secteurs les plus polluants de la planète, avec l’auto et les transports. L’univers des textiles synthétiques à base de pétrole est le plus gros générateur de microparticules avant les pneus. C’est la raison pour laquelle on utilise des matières naturelles à Frëtt Design. Les fibres libérées sont biodégradables», dit-elle.

Michelle Secours souligne, en citant des études, que «ces microplastiques ont des effets inquiétants sur la santé; ils affectent notre ADN (code génétique), ils posent un risque cancérogène en plus d’avoir un impact néfaste sur les poumons, le système immunitaire et la reproduction. Certains de nos partenaires de recherche travaillent à préciser à quel point les microplastiques ont nuisibles.»

Michelle Secours, présidente de Frëtt Solutions, s’est sensibilisée à la pollution générée par certains textiles au cours des 25 dernières années.

La protection conférée par le masque réutilisable de Frëtt Solutions est nettement supérieure à celle des masques bleus et s’approche de celle des masques N95, note-t-elle. «Il résiste aux éclaboussures de n’importe quel liquide.» Les gens pouvant utiliser le nouveau masque chirurgical sont nombreux.

«On a trois clientèles cibles: les dentistes, tout ce qui concerne les soins rapprochés, les cliniques médicales et le milieu professionnel rattaché à la santé. Deuxièmement, Monsieur et Madame Tout-le-Monde en voyage ou les gens malades, avec des maladies chroniques, ou ayant récemment eu la COVID-19. Troisièmement, le secteur institutionnel, un secteur de volume, comme le gouvernement. C’est le plus lent à pénétrer parce que c’est une innovation-rupture. C’est long, changer les habitudes», note Michelle Secours.

Il faut donc minimiser ce changement d’habitudes, assure-t-elle. «On monte un projet visant à faciliter la vie des utilisateurs. Sur les étages d’un hôpital, les gens sont habitués à mettre une boîte de 25 masques jetables sur leur charriot. On va mettre 25 masques réutilisables sur le même charriot et le mettre ensuite dans un sac de lavage au lieu d’un sac de poubelle.»


« On doit agir par mimétisme, pour que les gens gardent les mêmes habitudes; il faut que ça se fasse dans la joie. »
 Michelle Secours, présidente de Frëtt Solutions

Frëtt Solutions et ses partenaires sont en mesure de démarrer la production des masques multicouches très rapidement, note Michelle Secours. Un brevet international a été délivré et déposé dans 64 pays, ce qui devrait aider la croissance de la production, selon le modèle d’affaires choisi par la firme.

«Nous avons 15 000 masques en stock. Nous sommes prêts à enclencher la production. On ne pouvait commercialiser sans l’approbation de Santé Canada. On a mis tous nos revenus là-dedans. Notre objectif, c’est d’avoir des partenaires qui achèteront des licences de fabrication, pour décupler la production. Chez Frëtt, avec ses partenaires, on peut produire 20 000 masques par semaine. On a des partenaires au Québec, en Ontario et au Manitoba. Il y a la possibilité de créer des circuits courts », dit-elle.

Frëtt Solutions s’engage à reprendre les masques réutilisables quand les acheteurs s’en seront servis entre 100 et 200 fois.

«C’est inclus dans notre prix de vente. On les envoie à la firme Go Zéro, en Estrie. Ils passeront dans un tunnel de désinfection avant d’être démantelés. Le nylon de l’élastique et polyester seront déchiquetés pour faire de la bourre ou de la fibre. L’ajusteur en bois est biodégradable. La broche de nez est retournée pour faire d’autres masques. Les tissus de l’intérieur serviront à faire des billes de polypropylènes», explique Mme Secours.

L’investissement requis au cours des trois dernières années s’établit à au moins 600 000 $, une somme minimale parce que tout n’a pas encore été chiffré.

«Dans ce projet, les trois-quarts de nos heures ne sont pas payés. Notre motivation intrinsèque n’est pas l’argent. C’est pour ça qu’on a continué, contrairement aux grosses compagnies qui le font à des fins financières», assure-t-elle.

L’avenir

Des hôpitaux ont déjà amorcé des tests avec le masque de Frëtt Solutions. «Le département de microbiologie de l’Hôpital juif de Montréal embarque dans un projet pour faire la démonstration que c’est sécuritaire de réutiliser les masques. Les universités McGill, Concordia, Laval et l’Université de Montréal testent la résistance face à des virus comme la rougeole, la tuberculose, puis certains types de bactéries. On testera des niveaux de désinfection. On vise des niveaux élevés», précise Michelle Secours.

Dans une société qui peine à trouver de la main d’œuvre, la question de la création d’emplois se pose avec moins d’acuité qu’il y a quelques années.

«C’est dur à dire pour l’instant. On verra avec la croissance. En 2023, on embauchera pour des postes de haut niveau, des spécialistes qui se rajouteront à l’équipe, des postes stratégiques pour poursuivre la recherche et le développement. Il faut pousser les idées, et quand on a des solutions, on n’est pas obligés de s’en occuper. On ne peut pas tout faire. Les efforts de commercialisation, de lobbying et de formation sont les principaux défis. En Gaspésie, il faut s’adapter à la réalité d’être éloignés mais c’est dans nos valeurs de rester forts dans notre région», assure-t-elle.

Le prix s’établit entre 32$ et 38$ l’unité. «Il remplace 200 masques jetables. Il peut être porté pendant huit heures à chaque utilisation, comparativement à quatre heures pour les masques jetables», dit-elle.

Michelle Secours aimerait que les efforts déployés par son équipe depuis mars 2020 puissent inspirer d’autres groupes.

«J’espère que notre exemple servira dans d’autres secteurs dépendant des usages uniques. Si nous l’avons fait en Gaspésie pour des masques chirurgicaux, d’autres initiatives peuvent se faire dans d’autres domaines, comme les bouteilles de plastique à usage unique; il n’y a plus de raison qu’on se serve en 2022», conclut-elle.

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Des tests en Gaspésie?

Michelle Secours aimerait bien que le Centre intégré de santé et de services de la Gaspésie participe aux tests à venir pour contrevérifier certains paramètres d’utilisation du masque multicouche développé par la petite entreprise.

«L’approvisionnement en masques passe par le centre d’acquisition gouvernemental à qui nous exprimons nos besoins sur une période donnée. Donc, (ça ne passe) pas directement par le CISSS. Cependant, la loi sur les contrats des organismes publics nous permet de faire de l’achat local pour des montants sous les seuils d’appel d’offre public. Donc, techniquement, on pourrait (sans dire qu’on le fera) en faire l’achat. Il y a plusieurs éléments à prendre en compte dans une utilisation, comme on en fait (pour) des masques au-delà de l’approbation de Santé Canada, notamment le niveau de protection offert, le mode d’entretien, l’usure au fil du temps, l’aspect de prévention et de contrôle des infections et le reste. Bref, peut-être que ça ne pourrait pas être utilisé partout, mais que dans certains départements précis, oui, ce serait à voir», répond Lou Landry, porte-parole du CISSS de la Gaspésie.

Voir l’article complet ici:

https://www.lesoleil.com/2022/12/27/une-firme-gaspesienne-developpe-un-masque-chirurgical-reutilisable-7a34b4b7338b1a776e91c3e4b598a8da

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